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Jean Hélion et Francis Ponge

Jean Hélion et Francis Ponge

L’IMEC a reçu de la part d’Armande Trentinian-Ponge un ensemble de 66 lettres et cartes postales adressées par Jean Hélion à Francis Ponge entre 1948 et 1987. Cette correspondance témoigne de l’amitié admirative qu’Hélion portait à Ponge, mais aussi de la vivacité d’esprit d’Hélion, de son talent épistolaire, caractérisé par un sens aigu de la formule et par la franchise du propos.

Sur deux cartes postales datées du 16 août 1948, il est question de l’Italie qu’Hélion vient de découvrir avec Pegeen, sa femme, mais aussi de Versailles : « Quel beau bordel on ferait dans la galerie des glaces ; ou bien un restaurant pour chômeur ; un centre d’intellectuels révolutionnaires (antipatriotes, antidécorations, antidrapeaux). Ça ferait un peu mal à voir mais ça serait vivant et stimulant. » Hélion révolutionnaire ? Plutôt Hélion généreux qui abhorre l’injustice, mais aussi homme qui ne se conforme jamais, ni à la ligne d’une organisation politique, ni à celle d’un marché de l’art alors tout entier aspiré par la peinture abstraite à laquelle, jeune artiste, il avait pourtant beaucoup donné. La critique d’art dominante lui tourne le dos depuis son retour à Paris et à la figuration. Mais Francis Ponge aime la peinture d’Hélion. Il visite à plusieurs reprises son atelier et y amène parfois des amis. Hélion est proche des écrivains. Avec Ponge, il partage un même goût pour la chose décrite jusqu’à son mystère, les courges ou les citrouilles par exemple. Le poète et le plasticien puisent dans ces fruits quelque chose comme un esprit, une force qui peut les mener jusqu’à l’exaltation. Jean Hélion adresse ces lignes à Francis Ponge le 29 septembre 1949, lorsque Christian Zervos lui demande un texte destiné aux Cahiers d’art : « Aussi j’ai bien besoin qu’après tant de silence – ou d’insultes à leur égard il paraisse enfin quelque chose d’excellent et de fort à l’appui de mes tableaux. » Au cours des ans et des trop rares accrochages des peintures d’Hélion, Ponge écrira des textes pour son ami, celui notamment pour l’exposition Hélion. Trente ans de dessin, en décembre 1964 à la galerie du jeune Yvon Lambert. Cette correspondance nous livre aussi quelques anecdotes, d’importants petits faits permettant de mieux comprendre encore le peintre et l’homme Hélion. Le 19 octobre 1986 par exemple, Hélion informe Ponge qu’il a été approché « par l’Institut de France qui, disait-il, était soucieux de s’élargir et de se renouveler. J’ai répondu que j’accepterais seulement si on invitait en même temps Jean Dubuffet, Pierre Soulages et Balthus. Il n’en a plus été question… ». Hélion avoue cependant avoir accepté la Légion d’honneur alors qu’il avait pourtant été révolté par le retrait de cette distinction à Victor Margueritte après que celui-ci eut publié La Garçonne.

Mais c’était il y a longtemps, durant les années 1920, et « maintenant que je ne puis plus peindre il est bien évident que mon œuvre passée est acceptée, et que l’on ne pourra pas retirer ce petit bout de ruban pour telle ou telle peinture. Je considère mon œuvre entière comme acceptée ».

Hélion a perdu l’usage de la vue durant ses vieux jours. Ce qui ne l’empêche ni d’aller au théâtre ni de renouveler une dernière fois l’expression de sa profonde amitié pour Ponge dans une lettre dictée à Jacqueline Hélion le 4 mars 1986 : « Cher Francis, quel bonheur c’était d’entendre et d’assister à cette soirée sur Le Savon à la Comédie-Française. Comme vous le savez, je n’ai plus d’yeux, mais il me reste encore un peu d’oreille et j’ai joui comme toujours de vos mots précis, cadencés et musicaux par l’exigence. Je voyais les grandes lumières du spectacle qui semblent plus que tout la musique de ces mots. »

Yves Chevrefils Desbiolles et Claire Paulhan
Les Carnets de l'IMEC, n° 1, printemps 2014, p. 31.

Les archives de Jean Hélion.


Carton d'invitation envoyé à Francis Ponge par Jean Hélion le 4 mai 1987 pour le vernissage de l'exposition "Hommage à Francis Ponge" à la Cour de Varenne, Paris, 12 mai 1987, recto. Archives Jean Hélion/Imec.

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