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Dado

Dado

Vers la fin du mois de mai 2005, un artiste, Dado, visite l’abbaye d’Ardenne. La beauté des lieux lui a été décrite par un ami, l’architecte en chef des monuments historiques Bruno Decaris. Il a aussi entendu parler du travail de mise en valeur mené par l’Imec autour des archives intellectuelles et artistiques qui lui ont été confiées. La visite terminée, Dado a pris sa décision. Ses archives iront rejoindre notamment celles de Christian Dotremont, Édouard Pignon, André Fougeron, Jean Hélion, Jean Le Gac, Grégory Masurosky, Shirley Goldfarb, Pol Bury, Jean Bazaine, Otto Freundlich, Étienne Béöthy, Henri Maccheroni, Robert Lapoujade, Aline Gagnaire, André Mare… De la besace qu’il porte à l’épaule, Dado sort alors un livre imposant par sa taille, une sorte d’encyclopédie d’ornithologie : par ordre alphabétique, tous les oiseaux du monde y ont leur page. Il en déchire une vingtaine et d’une main rapide « rectifie » chaque oiseau. « Ça vient d’un livre et c’est pour l’Imec ! ». Merci, Dado. Mais ce ne sont pas à proprement parler des archives. Dado, en effet, n’a chez lui que des débris d’archives, quelques lettres ou photographies oubliées dans des tiroirs ou dans quelque endroit improbable vu le piteux état de certaines d’entre elles. Rien qui ne puisse s’appeler « fonds d’archives » ou même « fonds documentaire ». Le désir d’archives, cependant, est puissant. Dado réagit alors en artiste. Il met au point un concept d’archives bien à lui en « ADN-isant » – l’expression lui appartient – des catalogues anciens ou récents, un petit livre de poèmes ou tout autre imprimé le concernant. C’est-à-dire en y introduisant toutes sortes d’artefacts de la vie qui court, correspondances, sérieuses ou banales, factures, ordonnances de médecins, cartes postales, des photographies de lui, de ses enfants, de sa maison, de son atelier, de ses œuvres, etc., sans oublier de les retoucher avec de l’encre, un crayon ou autrement. Parallèlement, il demande à chaque galerie ou musée, aux photographes, aux fondeurs avec qui il a travaillé, de m’adresser catalogues, cédéroms, cartons d’invitation et autres extraits de presse. Pendant une bonne douzaine de mois, je reçois hebdomadairement un, deux voire trois « Dado » enveloppés et timbrés… Peu à peu, Dado explore les parties négligées de la maison qu’il habite depuis plus d’un demi-siècle près de Gisors. Des pépites en ressortent : cahiers de jeunesse et carnets de dessins, correspondances et photographies délaissées…à ce jour, près de dix boîtes d’archives et de documents.

Dado suit également de près les événements éditoriaux auxquels est associé l’Imec, notamment la parution de Suite française d’Irène Némirovsky, dont l’écriture a été interrompue par son arrestation et sa déportation à Auschwitz. Publié chez Denoël, ce livre posthume a remporté le prix Renaudot 2004. La lecture de Suite française a profondément ému Dado qui, enfant des Balkans (il est né au Monténéfgro en 1933), a aussi vécu dans une société que la guerre liquéfie. Il souhaite rendre hommage à l’auteure. Mais de quelle façon ? Avec la complicité de Denise Epstein, fille d’Irène Némirovsky, et déposante du fonds, nous tombons d’accord pour que je lui fasse parvenir à intervalles réguliers des fac-similés de certaines pages manuscrites du roman d’Irène Némirovsky qu’il rectifie aussitôt, comme les oiseaux. Les Éditions de la Différence et la galerie Beaubourg ont publié en 2007 un ouvrage de Dado, Les Oiseaux d’Irène, où l’on retrouve dans un face-à-face inquiétant pages manuscrites et oiseaux retouchés qui signifient, sans le montrer ni le nommer, le destin de l’un des meilleurs écrivains de l’entre-deux-guerres.

Yves Chevrefils Desbiolles
La Lettre de l'IMEC, n° 6, automne 2007, p. 12.

Les archives de Dado.


Les Oiseaux d’Irène de Dado.

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