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Hervé Guibert
L’ange blessé

Pour saluer la mémoire d’Hervé Guibert, le cinéaste David Teboul réalise L’Ange blessé qui retrace le parcours de ce météore, éternel jeune homme, qui a marqué la littérature de son empreinte brûlante. Appuyé sur les archives de l’écrivain confiées à l’Imec, ce film documentaire trace le portrait sans fard d’une génération. David Teboul dévoile aux Carnets de l’Imec la trame à la fois historique et personnelle de son projet.

Hervé Guibert L’ange blessé

Je suis né avec le sida. J’ai 14 ans, peut-être 13 ans, en 1982 je rentre d’un voyage aux États-Unis. Ronald Reagan est alors président, partout le président américain est représenté en cow-boy. Ce sont les années Dallas, la célèbre série américaine, la figure du texan viril, hétérosexuel, blanc et dominateur envahit les écrans mondiaux. Je lis la même année un article qui fait la une du journal Libération: « le cancer gay, nouvelle propagande de l’administration américaine ».

1984 aura été l’année de la découverte en classe de philosophie de l’œuvre de Michel Foucault et celle de sa mort.

1987, je vais au théâtre voir Dans la solitude des champs de coton écrit par Bernard-Marie Koltès mort du sida en 1989 et mis en scène par Patrice Chéreau. Koltès n’hésitera pas comme Jean-Paul Aron à parler du sida afin de lutter contre sa banalisation.

1988, c’est la mort du penseur Jean-Paul Aron qui fut la première personnalité de premier plan à raconter son sida. J’en suis profondément marqué, mon homosexualité se rétrécit, j’ai peur à mon tour du sida. Je me souviens, encore lycéen, de la campagne publicitaire dans le métro de la une du Nouvel observateur : « Mon sida » par Jean-Paul Aron. Jeune adolescent, j’avais été intrigué et fasciné par le titre de son livre Le Pénis et la démoralisation de l’Occident. Je l’avais acquis et caché comme on le fait avec une revue pornographique.

1990 a été l’année de la mort de Jacques Demy. Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort comme Peau d’âne auront marqué ma jeunesse.

1990, c’est aussi la découverte d’une critique dans Le Monde de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie d’Hervé Guibert, le titre de l’article, « écrire contre la montre », restera pour toujours inscrit dans mon souvenir.

Les morts étaient partout, partout chez ceux que j’aime.

Je repense à un des derniers autoportraits du photographe américain Robert Mapplethorpe amaigri et malade, c’était au festival de musique de Salzbourg, les affiches recouvraient les rues, c’était, je crois, pour illustrer un opéra de Mozart ou Le Grand Macabre de György Ligeti. Tout cela est confus mais le sida avait marqué de sa violence le célèbre festival de musique autrichien.

Je renonce à vivre pour un temps mon homosexualité, abattu, refroidi et effrayé par la mort de tous ceux que j’aimais. J’avais peur aussi, à mon tour.

Dans cette chronologie qui dure presque dix ans, les nécrologies coïncident avec la découverte d’artistes et d’écrivains qui marqueront ma génération. La première à parvenir à l’âge adulte en étant consciente de la menace du sida.

Je dédie ce film à ce que l’on nomme la génération sida, à celle qui m’a sauvé la vie.

David Teboul
Scénariste et réalisateur.
Dernier film réalisé : Sigmund Freud, un juif sans Dieu (2019).


Hervé Guibert, Ermitage Santa Caterina (île d’Elbe), 1979. Photographie Hans Georg Berger. Archives Hervé Guibert/IMEC.