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Pierre Daix Ruptures et fidélité

Journaliste avant tout mais aussi écrivain et critique d’art, Pierre Daix participa activement aux débats intellectuels, politiques et littéraires du second xxe siècle. À l’occasion de l’arrivée des archives à l’Imec, Jean-Marie Borzeix rend hommage à son ami.

Dès le début, pour ce gamin d’Ivry, rien n’était joué d’avance. À peine avait-il eu le temps de s’asseoir sur les bancs du lycée que, jeune communiste, il était emporté par le tohu-bohu de la Seconde Guerre mondiale — et pour lui, d’abord, en prison ! C’est en effet derrière les murs des geôles françaises et allemandes puis derrière les barbelés de Mauthausen qu’il a passé la plus grande partie de la guerre. L’expérience de la déportation comme épreuve initiale marque une vie pour toujours, fonde des amitiés indéfectibles (et quelques solides inimitiés…). Elle rend plus lisibles les redoutables rivalités qui divisent le monde communiste et l’ensemble de la gauche française au pire moment de la guerre froide. Au cours de ces années, tout est bon pour apprendre et se constituer un cercle d’amis. Lorsqu’on l’interpelle : « Mais enfin de quel camp êtes-vous ? » Il répond : « Du camp de Mauthausen. »
Chef de cabinet ministériel à la Libération, rédacteur en chef de plusieurs journaux — dont les superbes et influentes Lettres françaises proches du parti communiste —, Pierre Daix est aussi éditeur, romancier, éditorialiste, traducteur, polémiste. Il prend part aux grands débats politiques, se passionne pour les sciences humaines alors en plein essor, pour l’histoire en particulier, tout en restant fidèle au journalisme, sa passion de toujours.

Jusqu’à la fin, il ne cessera de dire : « J’aurai toute ma vie, d’instinct, cherché à me placer là où je pouvais recevoir les meilleures informations… » On ne saurait non plus oublier le rôle joué auprès de lui par Françoise London, son épouse. Elle l’aida à ne jamais détourner le regard des convulsions agitant la plupart des sociétés d’Europe de l’Est avant et après la chute du mur de Berlin. Dans ce contexte, il ne chercha pas à se glisser parmi les « maîtres penseurs » du moment. Il préféra rester le journaliste qu’il avait toujours été.

Très tôt, il avait découvert la prééminence du culturel sur le politique en se passionnant pour l’art. Auteur d’articles et de biographies, il fréquentait assidûment les ateliers et les galeries, tout en cultivant ses réseaux d’amitiés avec Aragon et Éluard, puis Seghers, Zao Wou-ki, Soulages, Buren, Pierre Emmanuel, Alechinsky, sans oublier François Pinault… Enfin, nous ne dirons rien ici de ce qui était sans doute le plus important pour lui : sa relation avec Picasso dont il devint l’un des plus proches amis et l’un des spécialistes mondiaux. Mais ceci est une autre histoire. Dans les archives de Pierre Daix, les chercheurs devraient, conformément au souhait de Christian Bourgois, trouver tout ce qu’ils cherchent… même ce qu’ils ne soupçonnent pas.

Jean-Marie Borzeix
Journaliste et ancien directeur de France Culture