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L'Amour est politique
par Cassiana Lopes Stephan

Au croisement de la philosophie, de l’anthropologie et de la littérature, Cassiana Lopes Stephan revient ici sur les interrogations qui ont guidé ses recherches dans les archives de Michel Foucault, Jean-Pierre Vernant et Marguerite Duras.

Jean-Pierre Vernant, page du manuscrit de  La mort dans les yeux : figures de l’Autre en Grèce ancienne (Artémis, Gorgô). Archives Jean-Pierre Vernant/Imec.
Jean-Pierre Vernant, page du manuscrit de La mort dans les yeux : figures de l’Autre en Grèce ancienne (Artémis, Gorgô). Archives Jean-Pierre Vernant/Imec.

Cassiana Lopes Stephan est lauréate de la bourse Imec / Centre Michel Foucault pour l’année 2018-2019. Doctorante en Philosophie à l’Université fédérale du Paraná (Brésil).

Dans Le Corps utopique, Michel Foucault explique que, depuis l’Antiquité archaïque, le miroir et le cadavre nous ont enseigné que « notre corps n’est pas pure et simple utopie ». Cependant, le miroir utilisé par Foucault ne nous renvoie pas aux traditionnels reflets de Narcisse, mais au masque de Méduse qui exhibe, à ceux qui lui font face, la précarité de la vie. Selon Jean-Pierre Vernant : « Sur le masque de Méduse, comme dans un miroir à double fond, se superposent et interfèrent l’étrange beauté du visage féminin, brillant de séduction, et la fascination horrible de la mort. » À partir de là, il semble que penser et vivre à la verticale du présent dépend de l’expérience ascétique qui, en articulant l’amour et la mort, nous permet de communiquer « avec l’univers d’autrui ».

De cette façon, mes recherches à l’Imec ont été motivées par l’interrogation suivante : est-ce que conduire esthétiquement sa propre vie dans le temps présent revient à faire face à sa propre mort et à la mort des autres dans ce monde ? Pendant ma résidence de recherche à l’abbaye d’Ardenne, j’ai construit des possibles relations entre Michel Foucault, Jean-Pierre Vernant et Marguerite Duras pour affronter, sous le signe d’une approche contemporaine, l’aporie de la mort. Notre finitude manifeste l’urgence de styliser l’existence pour que nous puissions, à partir de la transformation esthétique de nos propres vies, créer l’expérience du temps présent.

Apaiser le désir d’utopie qui nous empêche de vivre le présent, c’est réunir différemment trois éléments – l’amour, le miroir et la mort – consubstantiels à l’existence et sans lesquels nous n’avons pas l’expérience de soi et de l’autre. Pour raconter une autre histoire de l’amour, du miroir et de la mort il a fallu entrecroiser la philosophie, l’anthropologie et la littérature, représentées dans cette recherche par les auteurs avec lesquels j’ai partagé mon séjour à l’Imec. Ainsi, comme résultat de mes recherches à l’abbaye d’Ardenne, j’ai rédigé l’essai intitulé « Avant que ce soit la fin », où j’ai délimité – à partir de la transposition figurative du miroir de Méduse qui traverse l’œuvre de Foucault, Vernant et Duras – la portée esthétique de la spiritualité ascétique ainsi que la portée spirituelle de l’esthétique de l’existence.

Finalement, il faut souligner que les recherches entreprises à l’Imec en partenariat avec le Centre Michel Foucault ont été incontournables pour le perfectionnement de ma thèse de doctorat, dont le but est de caractériser, à travers la voie déployée par la réflexion tardive de Foucault, les relations entre le soi et les autres, tant en ce qui concerne le diagnostic porté sur les structures normatives qui légitiment et institutionnalisent les liens sociaux, qu’en ce qui concerne les dynamiques affectives qui transgressent et renversent les limites et les traditions en vigueur dans notre société.


Article paru dans Les Carnets de l'Imec #13-14, à l'automne 2020