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Castoriadis, penseur de l’écologie politique
par Romain Karsenty

Intitulé Écologie et politique, le dernier volume des œuvres politiques de Cornelius Castoriadis rassemble de nombreux textes et matériaux inédits, en partie issus des archives de l’Imec. Assistant en philosophie à l’université Saint-Louis de Bruxelles, Romain Karsenty a travaillé sur les archives de Cornelius Castoriadis conservées à l’Imec. Il soutient cet automne une thèse sur l’auteur des Carrefours du labyrinthe. Il nous présente ici la contribution du philosophe à la réflexion sur l’écologie politique.

Cornelius Castoriadis,  « Le grand sommeil ». Dactylogramme annoté,  mars 1989. Archives  Cornelius Castoriadis/Imec.
Cornelius Castoriadis, « Le grand sommeil ». Dactylogramme annoté, mars 1989. Archives Cornelius Castoriadis/Imec. © Michaël Quemener/Imec

Romain Karsenty. Université Saint-Louis/ Centre Prospéro, Bruxelles.

Cornelius Castoriadis a perçu précocement la « force révolutionnaire de l’écologie » et son apport dans ce domaine met au jour les forces et les faiblesses du mouvement écologiste contemporain.

Dénonçant dès les années 1950 le mythe d’un « progrès technique » prétendument inéluctable et déterminant la marche de l’histoire, il s’écarte à la fois de l’optimisme productiviste commun aux marxistes et aux libéraux et du catastrophisme des penseurs « technocritiques » comme Heidegger, Jonas ou Ellul. Ni technophile ni technophobe donc, il ne considère pas non plus la technique moderne comme un moyen « neutre » qu’il suffirait de mettre entre de meilleures mains ou au service de meilleures fins : la technologie d’une société est inséparable de ce que cette société est (de son « imaginaire » spécifique).

Or, la société contemporaine est dominée par l’imaginaire de la « maîtrise rationnelle » et de « l’expansion illimitée de la production et de la consommation », érigées en valeurs et objectifs ultimes de la vie humaine. Il en résulte une situation aliénante (« hétéronome ») où la puissance de la « technoscience autonomisée » va de pair avec une impuissance accrue des collectivités humaines, incapables d’arrêter la destruction en cours de leurs ressources tant naturelles (la « dilapidation irréversible du milieu et des ressources non remplaçables ») qu’anthropologiques (la transformation des êtres humains « en bêtes productrices et consommatrices, en zappeurs abrutis »).

Ainsi, pour Castoriadis, l’écologie n’est nullement une « défense bucolique de la “nature” » mais bien « une lutte pour la sauvegarde de l’être humain et de son habitat », laquelle est manifestement « incompatible avec le maintien du système existant ».

Rien pourtant ne met l’écologie à l’abri de « récupérations » ou de « détournements » au service de finalités hétéronomes : qu’il s’agisse de la « croissance verte » des écolo-réformistes (qui restent soumis à l’idéologie du développement) ou des tendances autoritaires de la deep ecology et des anti-spécistes radicaux, prêts à confier le destin de l’humanité à de nouveaux gourous ou despotes « éclairés ».

L’écologie bien comprise « ne fait pas de la nature une divinité, pas plus que de l’homme d’ailleurs ». Elle est une dimension essentielle du « projet d’autonomie individuelle et collective » : en récusant le motif central de l’imaginaire capitaliste et productiviste moderne, elle exprime une exigence impérieuse d’« auto-limitation (c’est-à-dire de vraie liberté) de l’être humain relativement à la planète sur laquelle, par hasard, il existe, et qu’il est en train de détruire ». C’est pourquoi, pour Castoriadis, « l’insertion de la composante écologique dans un projet politique démocratique radical est indispensable ».


  1. Cornelius Castoriadis, Écologie et politique. Écrits politiques, volume 7. Édition d’Enrique Escobar, Myrto Gondicas et Pascal Vernay, éditions du Sandre, 2020.

Article paru dans Les Carnets de l'Imec #13-14, à l'automne 2020