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François Roustang, questionner les certitudes
par Claude Romano

La vie de François Roustang semble faite de ruptures, mais Claude Romano souligne ici, au contraire, la continuité qui se lit dans l’oeuvre de ce jésuite devenu psychanalyste puis théoricien de la pratique de l’hypnose après sa prise de distance avec l’École freudienne.

François Roustang
Notes de travail sur Jacques Lacan et Octave Mannoni, s. d., Archives François Roustang/Imec.

Claude Romano est philosophe, maître de conférences à Sorbonne université et professeur à Australian Catholic University de Melbourne.

François Roustang laisse aujourd’hui une oeuvre dont nous commençons tout juste à prendre la mesure parce qu’elle ne cesse de questionner nos certitudes les mieux établies. Sa vie pourrait se présenter à un regard superficiel comme une suite de ruptures : rupture avec la Compagnie de Jésus, en 1966, pour s’installer à Paris comme psychanalyste ; puis, très vite, prise de distance avec la psychanalyse qui aboutit à Un destin si funeste (Minuit, 1976) et à Lacan. De l’équivoque à l’impasse (Minuit, 1986).

Pour cet homme dont l’univers religieux s’était effondré, il était proprement inconcevable de remplacer un dogme par un autre. François Roustang se tourne alors de plus en plus vers l’hypnose eriksonienne, mais il avance surtout une conception originale de la thérapie empruntant à différences sources, des grands mystiques occidentaux à la pensée chinoise, de l’École de Palo Alto à Wittgenstein. On s’est plu à dépeindre cet esprit d’une insatiable curiosité et d’une ironie permanente à l’égard de tous les dogmatismes comme un habile polémiste, un iconoclaste, un brillant touche-à-tout exerçant sans relâche son esprit caustique. La vérité se situe exactement à l’opposé. Pour qui est capable de lire son oeuvre sans préjugés, celle-ci révèle une remarquable continuité, de ses premiers textes spirituels à son dernier ouvrage consacré à Socrate, parce qu’elle gravite autour d’une expérience unique – qu’on l’appelle « hypnose » ou autrement – qu’elle s’attache à restituer et à sonder.

À l’image de Socrate, François Roustang fut surtout un ironiste toujours prêt à reconnaître sa propre ignorance et l’impuissance du thérapeute, mais faisant de cette impuissance même le levier de la relation thérapeutique et de la transformation de l’existence qui doit en découler. Dans ses textes théoriques, il témoigne simplement d’une qualité dont on apprend à mesurer au fil des ans combien elle est rare dans le milieu intellectuel : celle de tirer toutes les conséquences d’une objection radicale ou d’une aporie insoluble, là où tant d’autres préfèrent détourner le regard et demeurer rivés à leurs certitudes. De François Roustang et de l’oeuvre qu’il nous laisse on peut dire au plus haut point ce que Montaigne affirmait de lui-même : « De moy, je ne me sens guere agiter par secousse, je me trouve quasi toujours en ma place, comme font les corps lourds et poisans [pesants]. Si je ne suis chez moy, j’en suis tousjours bien pres. Des desbauches ne m’emportent pas fort loing. » (III, II, 811 b).

Claude Romano


L’ensemble des archives personnelles de François Roustang comporte des carnets et des notes de travail, des dossiers professionnels, des dactylographies d’articles ou de conférences, de la correspondance, des coupures de presse, des photographies, une bibliothèque d’étude et des ouvrages sur la théologie.


Article paru dans Les Carnets de l'Imec #10, à l'automne 2018