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Navigations d’Edgar Morin à Cerisy

Navigations d’Edgar Morin à Cerisy

Le problème préliminaire à ce que j’appelle la méthode, c’est justement le maintien de l’étonnement. Edgar Morin, « Messie, mais non », Arguments pour une méthode, Colloque de Cerisy, Seuil, 1990

Il y a 60 ans, ma mère Anne Heurgon-Desjardins invitait ainsi Edgar Morin à rejoindre Cerisy pour la décade Le cinéma dans l’évolution des langages, entre le 8 et le 18 septembre 1961, où Jean Lescure et René Micha souhaitent le voir « surgir ». Ce surgissement a-t-il eu lieu ? Je ne puis le dire… En revanche, je me souviens avoir dansé un 14 juillet au bal du village avec Edgar. Plusieurs rencontres intégrant un 14 juillet sont possibles : en 1954, Progrès technique et justice sociale, dirigé par Daniel Mayer (j’étais un peu jeune !) ; en 1956, Politique et spiritualité, dirigé par Jacques Madaule, Gabriel Marcel, Jean-Marie Domenach et Alban Vistel ; en 1957, Le langage, avec l’Abbé Morel, Jean Follain, Henri Gouhier, Eugène Ionesco, Charles Lapicque, Gabriel Marcel, René Poirier, Francis Ponge, Boris de Schloezer, Jean Tardieu... ; en 1958, L’Histoire et ses interprétations. Autour d’Arnold Toynbee, dirigé par Raymond Aron ; en 1959, Problèmes actuels du socialisme, dirigé par Gilles Martinet, André Philip, Alain Touraine… L’énigme de la première venue d’Edgar à Cerisy reste entière.

Plus précise est la mémoire des passages d’Edgar à Cerisy dans les années 1980-90. Il y a prononcé des contributions à au moins cinq colloques ; (1981) L’auto-organisation, de la physique au politique ; (1984) Les théories de la complexité (autour d’Henri Atlan) ; (1990) Institution, imaginaire, autonomie (autour de Cornelius Castoriadis) ; (1991) Traditions et post-modernismes (à partie de l’œuvre de Gilbert Durand) ; (1993) Le retour du sujet (autour d’Alain Touraine)... Deux colloques se sont tenus avec Edgar Morin au centre des débats.

En 1986, Arguments pour une méthode, dirigé par Daniel Bougnoux, Jean-Louis Le Moigne et Serge Proulx. Dans son intervention finale Messie, mais non, Edgar se réjouit de la « constellation autonome » qui s’est construite dans « cet endroit charmant », avec en outre quelques frères dispersés par la dérive de la vie (…) qui étaient là pour témoigner de « cette communauté perdue et retrouvée en ce lieu même ». Se demandant s’il y a une promesse dans le message de la complexité et de la méthode, il répond « mais non ! Évidemment, je ne suis pas un Messie mais un annonciateur (…) Non, je ne crois pas au Paradis, au Bonheur, mais je crois en une nouvelle naissance de l’humanité… Je crois en quelque chose de fragile, à la beauté éphémère… ». Il conclut en évoquant Les Nourritures terrestres par les mots : « n’oubliez pas de m’oublier, ainsi vous penserez à moi ».

En 2005, avec Jean-Louis Le Moigne, il dirige le colloque Intelligence de la complexité : épistémologie et pragmatique, qu’il introduit par une intervention magistrale : Complexité restreinte, complexité générale. L’ouvrage qui en résulte, d’abord publié aux éditions de l’Aube, puis réédité en 2013 dans la collection Cerisy/Archives chez Hermann, offre un ensemble de navigations entre des îles aux contours fluctuants, permettant à chacun de dessiner et de modifier ses propres parcours…

Edith Heurgon