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« Partir de rien »

« Partir de rien »

Comment se lance-t-on dans un nouveau projet d'écriture ? Si l'examen des archives révèle rarement les recettes des auteurs, il permet toutefois de saisir ce qui a été premier dans l'ordre des notes.

Sur ce petit carnet, le plus ancien document relatif à Par-dessus bord, se mêlent des références littéraires ou théoriques, des fragments de dialogues, des principes esthétiques ou dramaturgiques, comme cette formule éclairante : « partir de rien ». En partant de rien, l'auteur est ouvert à tout. Une question en découle, formulée un peu plus loin dans le carnet : « À partir du moment où on se décide à dire quelque chose, comment ne pas vouloir tout dire ? » Par-dessus bord et ses 250 pages vont en effet ressembler à un panorama complet de la société de la fin des années 1960.

Page de gauche. « NOB », c'est Norman O. Brown, spécialiste du monde grec et penseur marxiste, dont Michel Vinaver a suivi les cours en 1946 à Wesleyan University, et dont il a cherché à faire connaître le travail en France : sur ses conseils, Julliard publie en 1960 Eros et Thanatos (Life Against Death, 1959), qui associe la pensée de Freud et l'histoire sociale. Pour Par-dessus bord, Michel Vinaver recopie plusieurs pages de ce livre tirées du chapitre « Studies in Anality », qui établit un rapport entre l'argent dans le capitalisme et la déjection.

Page de droite. Dans la mythologie scandinave, les Vanes sont un groupe de dieux qui en affrontent un autre, les Ases. Michel Vinaver trouve ces références chez le comparatiste des civilisations Georges Dumézil, dont il a suivi les cours à Paris au début des années 1950. L'auteur associe dès le départ mythologie et réalité socio-économique, rapprochement qui structure Par-dessus bord. L'entreprise française, qui essaie de résister à l'invasion ennemie, est donc assimilée aux Ases – elle prendra finalement le nom de la famille « Dehaze » à partir des premiers brouillons.

« Je suis un intellectuel / Qui suis entré dans une affaire / Qui s'occupe de papier cul ». Qui parle ? Michel Vinaver a intégré l'entreprise Gillette en 1953, où il gravit les échelons. Cette note résume le clivage vinavérien reproduit dans le personnage de Passemar : un artiste et homme de gauche, au service du système capitaliste. L'auteur se lance dans Par-dessus bord après sept ans de pause (ou de « panne »), quand il se rend compte qu'il peut faire le lien entre les deux pans de son existence et représenter au théâtre le monde de l'entreprise.

Simon Chemama