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Michel Deguy

Michel Deguy

« Je travaille en carnets. Tout ça commence par le carnet. Incipit lamentatio… Le carnet, souvent de la marque Clairefontaine, est fait pour la poche. Toujours il y a un carnet dans ma poche intérieure droite, à couverture de couleur. Rouges, verts, violets, bleus. J’en change prématurément peut-être par (légère) superstition : celle de hâter le renouvellement de la pensée par une nouvelle couleur. Si je travaille en carnet, c’est pour ne rien laisser passer de l’inchoatif, insignifiant même, de la pensée naissante. La crainte est de perdre à jamais quelque vérité ; crainte d’amnésies partielles inguérissables. C’est une sorte de superstition, je le sais, mais je la vis ainsi : je crois que j’ai trouvé — quoi ? — mais que j’ai oublié, ou vais oublier. Et que si j’avais noté aussitôt, j’aurais formulé le secret. Souvent la nuit une pensée, comme on l’appelle, traverse l’insomnie. Je n’allume pas de peur de trop m’éveiller. Le carnet attend à côté du lit, flanqué de son crayon. Tâtonnant, je sténographie la visiteuse ; je cacographie la phrase, ou griffonne quelques signes mnémotechniques. Au matin, je peux me relire, je fais la cueillette. Ou dans le train, le taxi, le métro : les tressaillements dérèglent le crayon sismographe. Si c’est illisible, je jetterai. »

Michel Deguy (1930 - 2022)

Poète, philosophe, traducteur, Michel Deguy joue depuis plus d’un demi-siècle un rôle très actif dans le paysage éditorial et au sein de la communauté poétique. Membre dès 1960 du comité de lecture des éditions Gallimard, il fut directeur de collection aux éditions Belin, directeur de la Maison des Écrivains de 1992 à 1998, fonda plusieurs revues – Revue de poésie (1964-1971), Po&sie (créée en 1977) – et collabora à de nombreuses autres (La NRF, Les Cahiers du chemin, Critique, Tel Quel, Les Temps modernes...).
À travers la revue Po&sie, ses essais et ses interventions dans de nombreux débats, Michel Deguy affirme une position critique forte, parfois polémique, tout en conservant une posture de retrait. Dès Biefs (1964), son œuvre s’affranchit des codes traditionnels de la poésie et explore une voie nouvelle, celle de l’hybridation en toute liberté des discours : vers et prose, poème et réflexion métapoétique, critique et autobiographieS. La Vie subite, paru en 2016, porte d’ailleurs le sous-titre : « Poèmes, biographèmes, théorèmes ».