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François Maspero, un éditeur engagé

François Maspero, un éditeur engagé

De la librairie La Joie de lire, installée rue Saint-Séverin à Paris, et des éditions François Maspero, il ne subsiste aujourd'hui qu'une image, celle du camelot crieur de journaux qui continue à orner le dos des livres de la maison La Découverte. Fils et frère de résistants morts en déportation ou au combat, François Maspero (1932-2015) débuta comme libraire à l'enseigne de « L'Escalier » en 1955 avant de passer rue saint-Séverin deux ans plus tard. Editeur dès 1959, il publie La guerre d'Espagne, un livre du dirigeant socialiste italien Pietro Nenni dont la couverture jaune barrée de rouge indique d'emblée son ancrage idéologique. Communiste en rupture de ban avec le PCF, il sera à la fois trotskiste, castriste, tiers-mondiste, et partisan de toutes les causes émancipatrices des années 1960-1970. Avec plus de 1 350 titres publiés entre juin 1959 et mai 1982, une trentaine de collections et une dizaine de revues, la maison d'édition n'a rien à envier aux plus grandes. En liaison avec André Schiffrin à New York, Perry Anderson à Londres, Nils Andersson à Lausanne, Giangiacomo Feltrinelli à Rome et Milan, Klaus Wagenbach en RFA et bien d'autres en Europe, il sème les graines de la révolte qui secoue le monde en ces années. Son engagement pendant la guerre d'Algérie a fait de cet éditeur le symbole de la lutte contre la censure, la raison d'État et la torture. L'An V de la révolution algérienne de Frantz Fanon, Le Déserteur de Maurienne, Le Refus de Maurice Maschino, La Question d'Henri Alleg, La Guerre de guérilla de Che Guevara lui ont valu 17 condamnations en justice, les menaces et le plastic de l'OAS, et l'acharnement de tous les gouvernements français du moment.

Libraire moderne et même d'avant-garde, Maspero a fait de son grand magasin du quartier Latin un self-service où chacun se sert avant de régler ses achats ou de partir sans les payer au nom du prétendu « vol révolutionnaire » perpétré par des clients presque tous issus des classes aisées de la société. Cette pratique aberrante, exercée à l'encontre d'un éditeur qui ne conservait aucun bénéfice pour lui, et l'ouverture de la FNAC rue de Rennes où le même public se précipite à partir de 1974 pour profiter des 20 % de discount, ont porté des coups très sévères à la librairie La Joie de Lire qui ferme ses portes cette année-là. Demeuré éditeur jusqu'en 1982, traducteur de l'espagnol, mais aussi de l'anglais et de l'italien, écrivain parcourant le monde après cette date, François Maspero revient sur son expérience dans ses livres, notamment Le Figuier et Les Abeilles et la guêpe. Peu de causes l'auront laissé indifférent et, à sa mort, de nombreux Africains, Maghrébins, Asiatiques et Latino-Américains ont salué le militant et l'éditeur qui les avait accompagnés dans la plupart de leurs combats. Après son départ, François Gèze et l'association des amis des éditions Maspero ont repris la maison d'édition devenue, en janvier 1983, comme le montre le document officiel reproduit ici, « La Découverte/Maspero » puis « La Découverte », aujourd'hui filiale d'Editis.

Jean-Yves Mollier