Aller au contenu
Recherche

Jean-Jacques Pauvert ou le refus de la censure

Jean-Jacques Pauvert ou le refus de la censure

Jean-Jacques Pauvert (1926-2014) a attaché son nom au combat contre la censure et à la publication des œuvres du marquis de Sade. Employé à la librairie Gallimard du boulevard Raspail dès 1942, il n'hésite pas à vendre cher et au marché noir les raretés bibliophiliques, érotiques ou non, recherchées par les collectionneurs, et constitue ainsi son premier capital. Éditeur sous la marque du Palimugre en 1945 alors qu'il n'a que 19 ans, il publie Sartre, Camus, Montherlant et d'autres auteurs contemporains dont il a pu obtenir des manuscrits, et entreprend l'édition des œuvres du marquis de Sade. C'est sans doute à Maurice Heine, éditeur de Sade dans l'entre-deux-guerres, qu'il a emprunté l'idée de poursuivre une publication risquée qui lui vaudra de multiples poursuites et un procès retentissant. Surveillé par la brigade de la « Galanterie » qui dépend de la Police Mondaine, au même titre que Maurice Girodias et Éric Losfeld, il a mis en vente 25 volumes d'œuvres du marquis de Sade et Histoire d'O de Pauline Réage (Dominique Aury) quand s'ouvre, en décembre 1955, le procès à son encontre. Il durera deux ans, verra Maître Garçon déployer tout son art et faire venir à la barre les témoins les plus prestigieux pour défendre celui qui apparaît désormais comme le champion de la lutte contre toutes les formes de censure du livre. Les réparties de Georges Bataille et de Jean Paulhan sont restées célèbres et ont sans aucun doute contribué à obtenir la levée d'écrou de l'auteur maudit. Condamné en première instance mais bénéficiant du sursis en Appel, Pauvert a obtenu la réhabilitation de fait du « divin marquis » dont les œuvres circuleront désormais sans entraves. L'Affaire Sade, parue aux éditions Jean-Jacques Pauvert en 1957, fournit au lecteur « le compte rendu exact du procès » avec la plaidoirie de Maurice Garçon et les interventions des écrivains venus défendre Pauvert.

Éditeur sous son propre nom, « Jean-Jacques Pauvert », il accueille la collection « Libertés » de Jean-François Revel en 1964, mais c'est sa « Bibliothèque internationale d'érotologie », dirigée avec l'écrivain Joseph-Marie Lo Duca, qui lui a permis de vivre de son métier et qui l'a fait connaître à l'étranger, nombre de pays ayant demandé à traduire ces livres symboliques de la révolution des mœurs des années 1960-1970. La troisième maison d'édition créée par Jean-Jacques Pauvert, La jeune Parque, allusion à Paul Valéry et aux surréalistes, lui assure une audience importante auprès des jeunes écrivains dont Albertine Sarrazin, mais le mouvement de Mai 1968 porte un coup sévère à sa trésorerie en immobilisant les livres qu'il avait en stock. Désormais en butte aux difficultés financières, il est contraint à la liquidation et préfère entrer chez Hachette où il demeurera éditeur associé jusqu'en 1974. Le bilan de ses publications (760 titres) montre que les textes érotiques n'ont pas dépassé 15 % et que c'est la littérature qui l'emporte avec plus de 50 % des titres mis en vente. Ses Mémoires (La Traversée du livre), sa proximité avec Régine Deforges, à qui il suggéra d'imiter Autant en emporte le vent pour en faire La bicyclette bleue, sans risquer d'être condamnée pour plagiat puisque le vol d'idées n'existe pas en droit, révèlent d'autres facettes de la personnalité d'un éditeur que son amie, Annie Le Brun, définissait comme « un équilibriste », un « illusionniste » et « un sauvage honnête homme ».

Jean-Yves Mollier