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L'archive me relie

L'archive me relie

L'archive me relie : je connaissais déjà la couverture d'Autoportrait, qui orne le livre éponyme d'Édouard publié en 2005 chez P.O.L. Mais, ouvrant la boîte 403 LEV 16 3, je découvre qu'Édouard avait réalisé d'autres dessins semblables. Ces quatre autoportraits au canson noir et stylo blanc sont sans doute des essais de couvertures, des prototypes. Les exposer, certes, c'est aller contre son vœu d'écarter des tentatives qu'il n'a pas retenues, c'est exhumer des projets concurrents voués à demeurer enfouis, mais la beauté flagrante de ces « essais » rend une fois de plus complètement poreuse la frontière entre « œuvres » et « brouillons ». Le jugement de l'écrivain sur sa production est, on le sait, entaché d'une erreur de principe, celle qui consiste à croire que le lecteur ou la spectatrice n'a pas son mot à dire, et que l'auteur règne en maître sur son domaine. Édouard n'a pas brûlé ces quatre autoportraits ; en quoi leur qualité serait-elle moindre que celle de l'heureux élu ? Très peu d'auteurs, en fait, éliminent les à-côtés de leur œuvre officielle. Je me souviens, enfant, d'une rubrique de Charlie Hebdo qui me fascinait : « les couvertures auxquelles vous avez échappé » (avec un « vous » adressé qui témoigne que le choix n'est pas des plus faciles à faire dès lors qu'on présente son travail au public). Parmi elles, il y en avait d'excellentes, meilleures même que la couverture finalement retenue. Cela me hantait. Toute production a son fantôme.

Thomas Clerc