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« Le singe qui se marre »

« Le singe qui se marre »

J’ai choisi ce dessin parce que je le trouve emblématique du travail partitionnel de
Bagouet, et notamment de celui de So Schnell.

Ces partitions-figurations lui ont toujours permis d’anticiper le travail en studio avec une équipe nombreuse de danseurs et en même temps de réfléchir en bâtisseur-danseur à la manière dont les choses allaient se dérouler, de façon globale.

Je me dis que Bagouet dessine ce schéma, une vue de haut précisant les trajets des duos et des solos sur l’espace scénique, et réalise une fois fait qu’il vient de dessiner ce « singe qui se marre ». Je sens que Bagouet se « marre » lui aussi, même s’il lui faut pré-méditer au maximum les organisations dynamiques de l’espace et du temps pour cette pièce d’envergure, inaugurale du Corum à Montpellier, en 1990. Ce ton amusé, lié au titre, nous permet de comprendre la grande précision du travail, et la distanciation avec ce qui serait le sérieux d’une mise en ordre. Il s’agit plutôt chez lui d’un jeu, d’écriture et de danse, à la fois sérieux et amusé.

Il faut savoir que personne dans le public ne verra « figuré » explicitement ce « singe qui se marre » au moment où la pièce sera jouée. Il s’agit « seulement » pour Bagouet de créer une organisation qui permette de tramer les relations. De la même manière, on peut trouver d’autres partitions « visuelles » dans So Schnell, telles « l’usine » ou « le pull », dessinées et « invisibles ».

Ce qui compte c’est que cela serve de base à un développement artistique des formes de répétitions au cours de la pièce, dont il connecte l’esprit à la démarche pop de Roy Lichtenstein.

Rien à ce stade n’est dit sur les matériaux-gestes-mouvements que les danseurs inventeront avec lui. Seul le cadre est construit, symétrique, et le rapport entre les durées et la spatialisation.

Comme dans Necesito, pièce créée juste après, en juillet 1991, il s’agit dans ce dessin préparatoire d’un espace dans l’espace. Ici toutefois, plus que dans Necesito où il s’agissait d’un théâtre dans le théâtre, il s’agit d’une énergie qui traverse l’espace et se centre, une suite de duos et de solos, qui, alternativement, se repoussent et se succèdent.

Sur le dessin, on peut voir également des nombres qui déterminent les circulations, symétriques pour le duo, asymétriques pour le solo. C’est un aspect très important de l’organisation.

Ailleurs, dans les archives Bagouet déposées à l’Institut Mémoires de l’édition
contemporaine, on peut ainsi voir que le grand espace scénique de So Schnell est divisé en 14, que c’était le nombre de danseurs de la version de 1990, que la musique de J.S. Bach s’appuie parfois sur ce nombre, et que c’est ici le nombre de trajets pour les duos, le 15e semblant barré / hachuré.
Ailleurs encore je me suis rendu compte que dans une autre partie de So Schnell intitulée « les chèvres », les aspects liés aux nombres étaient très importants et significatifs : cristallisant le vertige et le dés-ordre liés à la proximité de plus en plus grande des deux danseuses au centre de la tornade-cyclone. Si clone… si clown.

Dominique Jégou