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Éphémère forever

Éphémère forever

Cette photo de Marc Ginot a été prise dans une loge au Corum à Montpellier, juste avant la générale ou la 1ère de So Schnell. Elle est en noir et blanc. On y voit Dominique et moi tous les deux de profil, assis face à face. Nos visages détourés sont au premier plan, le reste du corps à partir des épaules n'est pas visible ; Je suis légèrement décentrée, le personnage principal est Dominique. On détaille fronts, nez, bouches, mentons, oreilles, gorges et grain de la peau.

En arrière-plan dans le miroir, les autres personnes sont floues et semblent s'agiter.
Si ma mémoire est bonne, je partage la loge avec Dominique Grimonprez (stagiaire comme moi) et peut être bien Olivia ? Mais cela peut être Babeth qui passe pour les costumes, ou Sandrine la maquilleuse ?

Ce n'est pas une image de danse, ni de studio ni de scène.
Ce cliché dans la loge est finalement assez intime. C'est le lieu et le moment d'avant le spectacle, celui où l'on se déshabille, où l'on évacue, où l'on se relaxe, celui de l'ultime préparation. C'est un espace-temps, à la fois rituel et authentique où se partage aussi beaucoup d'humanité, de relationnel en petit comité.

Le photographe a réussi à s'infiltrer et à capter cet instant, avec discrétion.

Dominique retouche mon maquillage, redessine visiblement les sourcils en accent circonflexe. (Avions- nous déjà des maquilleuses dans cette version ?).
On ne se regarde pas directement, il (me) parle ou vient juste de parler. Il est concentré sur le trait, tandis que je baisse les paupières. On dirait presque que je m'appuie sur lui, au propre comme au figuré. J'ai un air à la fois sérieux et un peu triste, à moins que ce ne soit aussi la concentration, le début du trac qui monte. Jeune danseuse, première expérience de compagnie, la fougue à contenir !


Ne pas monter sur scène en tant que chorégraphe, est parfois plus difficile à vivre que pour les interprètes-acteurs qui s'affairent jusqu'à la dernière minute au maquillage, à l'échauffement. L'attention que Dominique porte à ce qu'il fait reflète bien son rapport au monde et aux êtres.

C'est un geste au travail mais surtout un geste d'attention, de présence, pure et simple.
Un geste qui nous relie et nous rassure communément. Dominique touche mon visage avec le crayon et cela m'amuse de penser maintenant que c'est un peu comme s'il continuait à travers cette image fixe, cette photo éternelle, de me transmettre quelque chose de lui, par ce contact.

J'entretiens toujours un lien très fort avec Dominique Bagouet grâce à ses danses, aux passeurs et interprètes, aux interviews, images et autres partitions. Je danse toujours ses pièces sur scène. Aujourd'hui j'interprète une troisième version de So Schnell, dirigée par Catherine Legrand.

Je suis la seule interprète de la version originale avec onze autres danseurs de tous horizons et de diverses générations. On peut imaginer que Dominique aurait vieilli avec les danseurs de sa compagnie, comme Pina Bausch l'a fait, ou comme certains autres chorégraphes des années 80 continuent de le faire.

Deux ou trois bagues au doigt est une pièce que j'ai créée en 2013, qui parle pour aller vite « d'amour et de fidélité ». En cherchant parmi tous les titres qui se présentaient à moi, ce lien phonétique m'est apparu comme une évidence, un point d'appui pour choisir :

Deux ou trois bagouets au doigt, jusqu'au bout des doigts.

Annabelle Pulcini