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Affaire Finlay

Affaire Finlay

Le mot et la photographie que m'adresse en 1997 le photographe François Lagarde font écho à une affaire vieille de près de dix ans et qu'apparemment il ne connaît pas, imaginant que l'effigie de ma tête décapitée, posée dans un panier, peut être le produit du dépit d'un « artiste amoureux ». Son auteur, l'artiste britannique Ian Hamilton Finlay au contraire m'abomine ! Qu'il nous renvoie, Myriam Salomon qui travaille à mes côtés, et moi, à des travaux de tricot (et pas n'importe lesquels !) dit bien le mépris et la détestation dans lesquels il nous tenait.

Ian Hamilton Finlay (1925-2006) s'était vu confier par le Ministère de la Culture en France une commande publique destinée à commémorer la Déclaration des Droits de l'homme. C'était en 1988 ; le bicentenaire de la Révolution se préparait. Nous nous en étions émus dans un éditorial (mars 1988), ayant vu des œuvres de l'artiste portant la svastika, appris qu'il avait eu une correspondance avec Albert Speer, constaté les références omniprésentes chez lui à la Terreur. Une polémique s'ensuivit. Le Monde, Galeries Magazine, s'inquiétaient de la même façon ; en compagnie de l'avocat Michel Blum, représentant de la Ligue des Droits de l'homme, je fus invitée à la matinale d'Europe 1 pour expliquer l'enjeu, d'autant qu'un ancien collaborateur de l'artiste, Jonathan Hirschfield, révélait le contenu antisémite des lettres que Finlay lui avait adressées à l'occasion d'un différend entre eux. François Léotard, alors ministre de la Culture, préféra annuler la commande. Finlay se déchaîna alors contre nous, et contre ma personne en particulier. L'artiste ne quittait jamais sa maison et son jardin, appelés Little Sparta, près d'Édimbourg, mais il envoyait à l'action une petite armée personnelle, les Vigiles de Saint-Just, principalement recrutés en France parmi des intellectuels proches du Parti Communiste. Je suppose que ce sont eux qui de temps à autres distribuaient sur mon passage des vignettes porteuses de menaces. C'est ainsi que je découvris un beau matin des affichettes reproduisant l'image de ma tête coupée sur les murs du quartier, aux alentours du bureau d'artpress...

Cette sculpture symbolisant mon exécution fut exposée en France à la Fondation Cartier, alors à Jouy-en-Josas, où elle fut d'ailleurs mystérieusement subtilisée. C'est elle, ou sa réplique, que François Lagarde retrouva en 1997. Ian Hamilton Finlay assigna en justice Europe 1, Galeries Magazine et artpress pour diffamation. Il perdit ses procès, les juges ayant estimé que nous avions exercé notre « droit légitime à la critique ».

Catherine Millet