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Althusser dans le métro

Gabriel Albiac

Althusser dans le métro

Mai 1971, Madrid, quai du métro, station Goya, le même point de transit de chaque jour entre la fac et sa maison. Midi. Des doigts se sont cloués sur son épaule droite. Derrière lui, une pression soudaine sur l’omoplate. Une dureté de crochet bloque l’articulation. Les doigts sont fermes, la prise efficace : un professionnel. Il n’a même pas besoin d’essayer une secousse pour s’en délivrer : ce serait du temps perdu. Pas de blague ici. Pas besoin, non plus, de tourner la tête pour savoir ce qu’il se passe. Pas le temps, non plus. Avant d’entendre cette voix sèche dans son dos, « ¡Policía! », il sait bien déjà qu’il s’agit de cela : police, le prévisible, le refoulé. Il se dit que cette voix a une résonance excessivement métallique dans le creux du quai presque vide, qui n’est plus le lieu familial de chaque jour. Il réprime le geste instinctif de lever les mains ouvertes. Il est trop encombré pour le faire. Sous son bras gauche, il porte une souple serviette noire. La main droite supporte une poignée de livres, d’apparence fort lourds : ceux de son examen d’anthropologie, il y a trois quarts d’heure à peine.

 

« ¡Policía! » Il constate que ce sont quatre types qui l’entourent et que le quai est maintenant désert. Vraisemblablement, il doit y avoir quelque part d’autres flics pour garantir la couverture, mais il ne les aperçoit pas. Il ne se souviendra, plus tard, d’aucun détail des autres trois. L’image du premier, celui qui a crié « ¡Policía! », lui restera marquée. Il est en face de lui à présent : un mauvais visage plutôt anonyme, cheveux blonds, visage osseux, pas très grand, soigneusement – trop soigneusement – costumé. « Qu’est-ce que tu portes là ? » Il pointe vers les livres, qu’il tient comme il peut, sur la main droite. Mais pas besoin de réponse, bien sûr : le flic – le « social », dans le jargon d’usage pour désigner la police politique – les a déjà pris. C’est le titre d’un livre qui semble avoir a attiré son attention. Il laisse tomber par terre tous les autres et il secoue le bouquin devant les yeux terrifiés du jeune étudiant. « Mais, tu trouves normal de trimbaler cette chose dans la rue… ? » Cette chose est un petit volume in octavo, que le flic tient de sa main gauche, avec un geste de répugnance décidemment trop théâtrale. « Mais, je viens de passer un examen » – le gars s’efforce d’étaler sa politesse la plus exquise. « Ce sont les commentaires de textes ». Le « social » semble scandalisé. Il s’adresse, à très haute voix, plutôt au quai vide qu’à ce pauvre diable qui vient de se faire attraper d’une façon tellement imbécile. « Nom de dieu! C’est bien avec cela qu’on les évalue à présent à l’Université… ? Il pourrait répliquer que bon, il y a aussi l´Éthique à Nicomaque d’Aristote, par exemple, parmi les livres tombés par terre. Mais quelque chose lui dit qu’il vaut mieux ne pas faire le malin ici, qu’il vaut mieux ne pas ouvrir la bouche. Il se contente de sourire. Avec une moue de parfaite stupidité. « En plus, regarde moi ça, tout souligné et annoté. Il est culotté, le gars ! » : le flic est en train de faire tourner les pages devant la gueule amusée de ses collègues. « Ici, les gens sont devenus fous. Et à nous de nous faire traiter comme des cons ! »

 

Un petit livre in octavo. À la couverture vaguement marron. Édité au Mexique. Polémica sobre marxismo y humanismo : les grands caractères ont attiré l’attention du flic. Sur la couverture, quatre noms qui n’ont vraisemblablement aucune signification pour lui : Louis Althusser, Jorge Semprún, Michel Simon, Michel Verret. Le jeune gars qui vient de son examen n’arrive pas à comprendre que le « social » ait gardé précisément ce volume, alors qu’il a méprisé deux œuvres de Marx, le livre I du Capital et la Contribution à la Critique de l’Économie Politique, et les deux travaux majeurs d’Althusser, Pour Marx et Lire Le Capital, peut-être parce que le fait d’être en français lui semble moins dangereux à ses yeux. Et qu’il ait concentré sa fureur sur cette anthologie d’articles, dont le titre lui semble une insulte : Dieu seul sait quelle combinatoire souterraine de signifiants a pu court-circuiter ainsi les méninges de ce type devant le voisinage des mots « marxisme » et « humanisme », et en plus précédés du mot « polémique » qui leur accorde autant de gravité. Il vaut mieux laisser à plus tard cette question. Ce n’est pas le moment pour des subtilités barthesiennes.

 

À une vitesse de vertige que plus tard il n’arrivera pas à s’expliquer, il voit passer, dans la solitude écrasante de ce quai vide du métro, le souvenir du premier des auteurs, cet Althusser qui allait fonder les mythologies de sa génération. Ces mythologies qui, en fin de compte, l’ont emmené à faire ce faux pas à la station Goya. Il avait, pour la première fois, entendu parler d’Althusser, deux ans auparavant, à Paris, lors de cet étrange été 69. Il avait alors dix-neuf ans. Comme tous ses camarades qui filaient, entre La Joie de Lire et Gît-le-Cœur, le premier réseau du maoïsme espagnol. 68 fut en Espagne 69 : l’assassinat, d’abord, de Enrique Ruano au cours d’un interrogatoire policier ; juste après l´état de siège et la désarticulation du premier mouvement étudiant, et les centaines d’arrestations qui suivirent… Les survivants de Madrid s’étaient donné rendez-vous à Paris l’été. Le Resto-U de Mabillon était le lieu de rencontre : chaque jour, à partir de 12h45. Le pari était nouveau et exaltant : le passage à une clandestinité qui se voulait hermétique et la fin du jeu d’amateurs des deux années précédentes. De tout cela allait naître le meilleur et le pire : l’épique et le sectarisme. C’était bien eux qui allaient naître.

 

Il lui revient, en cet instant de mai 71, dans le vertige de ce quai qui semble osciller sur la glace à distorsion de ses yeux, qu’en ce temps-là, lors des histoires de 1969 , il se savait parfaitement malhabile pour de telles disciplines d’organisation. Il se rappelle comment il a laissé les copains s’occuper de ces trucs, pendant qu’il passait le peu de temps libre que lui laissait son travail nocturne de balayeur, à lire fébrilement les textes de ce professeur de l’ENS qui provoquait chez les camarades maos français une semblable oscillation entre la ferveur et la haine. Il avait commencé par la « Préface Aujourd’hui » à Pour Marx, et il n´avait pas pu s´arrêter jusqu’à la fin du deuxième volume de Lire Le Capital*. Cela n’avait aucune ressemblance avec ce qu’il avait entendu appeler marxisme chez les vieux du PCE : ce jargon à endormir les moutons, dont il avait conçu une forte répugnance – bien sûr soigneusement cachée devant les camarades – pendant ses deux premiers années de Fac. Et les passages, en particulier, de la « Préface Aujourd’hui » dans lesquels Althusser dessinait la tragédie de sa génération dans l’après-guerre, lui semblaient avoir été écrits pour peindre le portrait de la sienne, celle de la jeune génération antifranquiste : « Combien, parmi les jeunes philosophes… s’étaient usés en tâches politiques épuisantes, sans prendre sur elles le temps du travail scientifique… Philosophiquement parlant, notre génération s’est sacrifiée, a été sacrifiée aux seuls combats politiques et idéologiques… »

 

Mais cela s’était passé bien avant, presque deux ans, avant ce mai 71 sur le quai vide du métro. Au moment où un flic au visage osseux et trop costumé, est en train de l’interpeller avec une stupeur qui ne semble pas feinte : « Marxisme et humanisme… Mais qui pourrait exhiber un titre comme cela dans la rue ? » Personne, bien sûr. Personne, sauf lui qui est le plus parfait des cons. Il l’a toujours été. Les camarades appellent ça « de l’anarchie petite-bourgeoise ». Nom de Dieu, il fallait bien que ce soit lui, « pauvre connard » à faire une bavure pareille…

 

« Et encore, il a tout souligné, et il y a mis en plus des annotations, cet imbécile ! » Encore la voix métallique. Comme s’il trouvait que répéter les mêmes mots sur un ton de plus en plus haut pouvait lui donner des réponses à cette chose inimaginable. Le gars, le jeune gars qui retourne d’un banal examen d’anthropologie, a la maladresse de prétendre se justifier. On lui a appris que c’est bien ça qu’on ne doit jamais faire devant la police. Mais va te rappeler des normes de sécurité dans un moment absurde comme celui-ci. « C’est légal », il murmure dans une voix pas très audible. « On peut l’acheter dans n’importe quelle librairie de Madrid ». Il s’aperçoit immédiatement qu’il a encore gaffé. Le flic commence à être sérieusement en colère. Frappe d’un coup de pied les livres qui sont toujours par terre. « Marxisme et humanisme. Quelle merde ! Et ce connard de me dire que c’est du légal et qu’il peut en acheter des tonnes dans les libraires à son aise ! Mais, dans quel pays sommes-nous ? Viens, donne-moi ça, on va voir ce que gardes tu dans ta serviette… »

 

Une crampe de panique en ce moment. Dans le sursaut de l’arrestation et le délire des livres, il a complètement oublié la serviette. Qui est la seule chose importante. Ce matin, en partant pour la Fac il y a mis un petit lot du paquet de 500 pamphlets que lui avait filés un camarade des Commissions de Droit. Il les a distribués presque tous, mais il en devait rester deux ou trois dans la serviette. On ne retourne jamais chez soi avec ce genre de marchandise ; il se maudit pour son imprudence. « Mais, quel genre de saloperie tu as là ? » La voix du social ne laisse plus aucun doute. La partie est perdue. D’ici au commissariat ; immédiatement la perquisition chez lui ; plus de 400 exemplaires d’édition clandestine : six mois et un jour, s’il a de la chance. Quelle connerie ! Mais un train entre  dans la station en ce moment : c’est le deuxième depuis que cette mauvaise hallucination a commencé. Les portes s’ouvrent, un tourbillon de gens pressés se fraie le pas autour d’eux.

 

Une secousse en cet instant précis. L’un des flics jusqu’alors silencieux, frappe furtivement le bras de celui qui semble être le chef. « Le voilà », dit-il, dans un murmure qu’on entend à peine. « C’est lui. Vite, il va nous échapper ». Il part derrière un homme costaud qui va se perdre par la porte de sortie en tête du convoi. Le blond costumé regarde le petit gars avec mépris. Secoue devant lui le petit livre in octavo. « Tu ne mérites pas la chance que tu viens d’avoir, mais je n’ai pas de temps à perdre avec une petite merde comme toi. Si les gens de ton genre croient à quelque chose, remercie à ce quelque chose de ta chance. Dégage ! Si je te croise à nouveau sur mon chemin, je te jure que je te casse la figure ». Ils courent derrière celui qu’on ne voit plus. On entend des cris. Mais le jeune a eu à peine le temps de récupérer ses livres. Il file par la sortie contraire.

 


 

Deux ans plus tard, il racontera à Louis Althusser cette histoire absurde. Cela se passera dans la bureau légendaire de la rue d’Ulm dans lequel tant de fois ils ont discuté sur son projet de Thèse Doctorale. Ce n’est que très tard, après ces deux ans d’amitié et d’étude, qu’il aura osé arracher cette histoire à sa timidité devant le maître. « Tu sais, Louis, je te dois –­ plutôt je dois à ton livre – le plus dur moment de frayeur de ma vie militante. Je ne me suis jamais senti aussi seul et aussi grotesque… Les flics avaient monté une souricière pour attraper quelqu’un de bien autrement important qu’un petit étudiant de vingt-et-un ans. Lorsqu’ils l’ont aperçu, ils se sont défaits de moi en vitesse. Dommage que le « social » ait gardé mon exemplaire de la Polémica. Souligné et annoté, comme il disait. Tant pis ». Il dit cela avec un sourire très peu convaincant. Puis : « Je rentre en Espagne demain, Louis ». Le professeur au regard bleu tellement mélancolique se lève lentement. Il disparaît derrière la porte qui mène à son appartement privé. Il revient au bout de deux minutes. Dans la main gauche, il porte un petit livre à la couverture gris. « Je n’ai plus un seul exemplaire de cette fameuse Polémica. Mais prends ceci. Tu ne l’as pas : je viens de recevoir les premiers exemplaires ce matin. Il s’assoit devant sa table, écrit quelques lignes au stylo noir sur la première page. Il met le petit volume dans une enveloppe blanche à en-tête de l’École. Il est temps de partir. « Fais très attention, ne te laisse jamais arrêter ».

 

Ce n’est qu’en arrivant à la place du Panthéon qu’il osera ouvrir cette enveloppe. Le livre s’appelle Réponse à John Lewis et il avait déjà eu l’occasion de lire l’original dactylographié il y a presque un an. Il l’ouvre à la première page et lit la dédicace au stylo noir, l’écriture minutieuse qu’il connaît si bien : « Pour Gabriel Albiac qui saura continuer la lutte et se battre en communiste. Un communiste n’est jamais seul ». Et il soupçonne alors que le maître se trompe.

 

Traduction Gabriel Albiac, avec la collaboration de François bordes

* L’auteur fait référence à l’état de siège à Madrid,  lors duquel s’est produite la désarticulation du premier mouvement étudiant antifranquiste provoquant le passage aux structures plus clandestines des années suivantes.

 

Texte original

Althusser en el metro

1971, Madrid, mayo, andén del metro, estación Goya, el punto de transbordo de todos los días entre la Facultad y su casa. Mediodía. Los dedos se han clavado en su hombro derecho. Desde atrás. Pulgar sobre el omóplato, índice y corazón envolviendo el húmero. Con dureza instantánea de garfios. Los dedos son firmes, la llave eficaz: es la mano de un profesional. No necesita siquiera dar una sacudida para saber que no podrá zafarse. No es una broma. No necesita tampoco hacer girar la cabeza para saber lo que ha pasado. Antes que, igual de inapelable, igual de dura que los dedos, la voz suene a su espalda, “¡Policía!”, él ya sabe que es eso: policía. Se le antoja que la voz resuena, exageradamente metálica, en la oquedad del andén casi vacío, en el mismo lugar familiar de su cambio de tren de cada día. Policía: lo previsible siempre rechazado. Retiene el gesto instintivo de alzar las manos al cielo como en las pelis de vaqueros. No podría hacerlo: bajo el brazo izquierdo carga con un delgado portafolios negro. El derecho soporta inestablemente un puñado de libros de apariencia pesada: los que usó en el examen de Antropología del cual ha salido hace tres cuartos de hora.

 

“¡Policía!” Constata ahora que son cuatro los tipos en torno suyo y que el andén ha quedado desierto. Es verosímil que haya algún poli más dando cobertura, pero él no atisba dónde. No recordará después apenas nada de los otros tres; sí, del primero, el que le ha dado el alto. Lo ha soltado y ahora está frente a él: un tipo con aire de mala leche muy anónima, cabello rubio, rostro huesudo, no muy alto, bien –demasiado bien– trajeado. “¿Qué es lo que lleva usted ahí?” Señala hacia los libros que él aguanta mal agarrados con mano derecha y brazo. Pero no es necesario que responda, por supuesto: el “social” –pintoresco nombre, piensa, para referirse coloquialmente a la policía política– se ha hecho ya cargo de ellos. El primero ha atraído su atención especialmente. Tira los demás al suelo y agita éste ante los ojos del joven inmóvil. “¿Pero a usted le parece normal pasearse con esta cosa a la vista?” Esta cosa es un pequeño volumen en octavo que el social mantiene en su mano izquierda con un demasiado teatral gesto de asco. “Es que vengo de un examen” –él se esfuerza en exhibir la más depurada de sus cortesías–. Son los textos que entraban en el comentario”. El “social” parece ahora seriamente escandalizado. Se dirige, en voz alta, más al andén vacío que al pobre diablo que se ha hecho cazar de una manera tan tonta. “¡Es que hay que joderse! ¿De esto les examinan ahora a ustedes en la Universidad…?” Podría explicar que bueno, que también, entre los libros descuajeringados sobre el andén, está la Ética a Nicómaco de Aristóteles, por ejemplo. Pero algo le está diciendo que es mejor no hacerse el listo, mejor aún, no abrir la boca siquiera. Sonríe sólo. Con aire de estupidez perfecta. “¡Y todo subrayado además, y anotado, no te fastidia!”: el social está haciendo pasar las hojas del libro ante los ojos de sus colegas. “Aquí es que todo el mundo se ha vuelto loco. Y a nosotros nos toca hacer el papel de gilipollas”.

 

Un pequeño libro en octavo. Cubierta de un color pardo impreciso. Editorial Siglo XXI de México. Polémica sobre marxismo y humanismo en esas grandes letras que han atraído la atención del poli. Sobre la portada, cuatro nombres que es improbable que para el poli signifiquen nada: Louis Althusser, Jorge Semprún, Michel Simon, Michel Verret. Al joven que vuelve de su examen se le hace muy extraño que el social se haya quedado con ése volumen, tras tirar con desprecio al suelo dos obras de Marx, el libro I del Capital y la Contribución a la Crítica de la Economía Política, y los dos textos mayores de Althusser, Pour Marx y Lire Le Capital, que, por estar en francés, quizá le han parecido inocuos. Y ha concentrado su furor en esa recopilación de artículos, cuyo título parece antojársele una afrenta. Los dioses sabrán, tal vez, que subterránea combinatoria de significantes haya podido cortocircuitar las meninges de ese tipo ante la contigüidad de los dos sustantivos “marxismo” y “humanismo”, precedidos además por lo de “polémica” que debe darles mucho empaque. Mejor posponer esa pregunta, de momento; no está el horno para sutilezas barthesianas.

 

A una velocidad de vértigo, que más tarde no logrará explicarse, se le cruza, en la soledad aplastante de este andén de metro, el recuerdo de lo que el primero de esos nombres impone en las fantasías generacionales que son las suyas. Las que le han llevado hasta este paso en falso en la estación de Goya. De Althusser supo, por primera vez, dos años atrás, en el París extrañísimo del verano del 69. El tenía entonces diecinueve años. Los que tenían aquellos colegas suyos que andaban hilvanando, entre la Joie de Lire y la librería del callejón Gît-le-Cœur, las primeras mallas organizativas del maoísmo español. El 68 español fue el 69: asesinato, primero, en la Universidad de Madrid, de Enrique Ruano durante un interrogatorio; enseguida, estado de excepción, desarticulación completa del primer movimiento estudiantil, cientos de detenidos… Los supervivientes se dieron cita en París ese verano. El Resto-U de Mabillon era el lugar de cita: cada día a las 12:45. La apuesta era nueva y exaltante: paso a una clandestinidad hermética, fin del juego de aficionados de los dos cursos precedentes. De ahí nacería todo: lo mejor y lo peor, la épica y el sectarismo. Nacerían ellos.

 

Recuerda ahora, mayo del 71, en el vértigo de ese andén que ahora parece estar oscilando en el espejo deformante de sus ojos, recuerda cómo él se había sabido entonces, en aquel verano mágico del 69, perfectamente inhábil para tales disciplinas organizativas. Recuerda cómo dejó que los compañeros se ocuparan de eso y ocupó el poco tiempo libre que su inestable trabajo de barrendero le dejaba, para leer durante noches enteras a aquel profesor de la ENS por quien los camaradas chinos exhibían un oscilante fervor entre la devoción y el resentimiento. Empezó por el Préface Aujourd’hui a Pour Marx y ya no pudo parar hasta que cerró el segundo volumen de Lire Le Capital. Aquello no se parecía a nada de lo que hasta entonces había oído llamar a los viejos del PCE “marxismo”: jerga para dormir a las ovejas, que tanta repulsión –disimulada, eso sí, ante los compañeros– le había inspirado en sus dos primeros años en la Facultad de Filosofía. Los pasajes del Préface aujourd’hui, en particular, en los que Althusser retrataba la tragedia de su generación en la posguerra, le parecían a él haber sido escritos para dar razón de la suya, la joven generación antifranquista: « Combien, parmi les jeunes philosophes… s’étaient usés en tâches politiques épuisantes, sans prendre sur elles le temps du travail scientifique… Philosophiquement parlant, notre génération s’est sacrifiée, a été sacrifiée aux seuls combats politiques et idéologiques… ».

 

Pero eso fue hace mucho, hace casi dos años. Ahora, estamos en mayo del 71. Cuando un tipo de rostro huesudo y demasiado trajeado le está interpelando con estupor no fingido. “Marxismo y humanismo… ¿Pero a quién se le ocurre exhibir un título así por la calle?” A nadie, desde luego. Sólo a él que es un desastre, lo ha sido siempre: anarquía pequeñoburguesa llaman a eso los compañeros. Maldita sea, tenía que ser él el que acabara metiendo la pata.

 

“¡Y todo subrayado además, y anotado, no te fastidia!” La voz metálica, de nuevo. Como si repetir lo mismo cada vez un poco más alto pudiera darle respuesta a lo inimaginable. Él comete entonces la torpeza de intentar justificarse. Lo que nunca debe hacerse. Pero, vete a recordar normas de seguridad en un momento como ése. “Es legal”, musita, en voz no demasiado audible. “Puede comprarse en cualquier librería de Madrid”. Error. Se da cuenta de inmediato. El “social” está ahora seriamente cabreado. Da una patada a los libros, que nadie ha recogido del suelo. “¡Marxismo y Humanismo! ¡No te jode! Y encima me viene con lo de que es legal y que puede comprárselo en cualquier librería cuando le salga de los cojones! Pero, ¿qué broma es ésta? A ver, deme ese portafolios…”

 

Calambre de pánico ahí. En el sobresalto de la detención y el delirio de los libros, se ha olvidado del portafolios. Esta mañana, al salir de casa, metió allí un pequeño lote del paquete de quinientos panfletos que le había confiado el colega de las Comisiones de Derecho. Ha repartido casi todos, pero en la cartera deben quedar aún dos o tres. Se maldice por haber cometido la imprudencia de volver a casa sin haberse deshecho de ellos. “Pero, ¿qué coño es esto?” La voz del social deja poco lugar a dudas. Se acabó el juego; de aquí a comisaría; luego, el registro de rigor en casa; deben de quedar allí más de cuatrocientos ejemplares: propaganda ilegal, seis meses y un día mínimo. Maldita sea. Pero un tren está entrando en el andén: es el segundo desde que empezó esta mala alucinación. Se abren las puertas, un remolino de gente se abre paso, apresurado, en torno a ellos.

 

Un revuelo en ese instante. Uno de los sociales, que hasta entonces ha guardado silencio, da una furtiva palmada en el codo al que oficia de jefe. “Es ése”, dice con voz apenas audible y señala con la mirada a un joven que está a punto de perderse por la puerta de salida. “Vamos”. Los cuatro corren. El rubio trajeado se vuelve hacia él y agita el pequeño libro en octavo con desprecio. “No te mereces la suerte que has tenido, hijo de puta, pero no tengo tiempo para ocuparme ahora de una mierdecilla como tú. Si la gente como tú cree en algo, dale a ese algo las gracias. Esfúmate. Te juro que como vuelvas a cruzarte en mi camino te rompo el alma”. Salen corriendo lo cuatro. Oye algún grito. Y él se volatiliza, sin dejar de mirar atrás, por la salida opuesta.

 

 

** *

 

Contará a Louis Althusser, dos años más tarde y en el despacho legendario de la rue d’ Ulm, esa historia de disparates. Sólo al cabo de dos años de amistad y estudio se habrá atrevido a sacar de su timidez ese recuerdo. “Ya ves, Louis, te debo, o más bien debo a tu libro, mi momento de mayor pánico militante. Nunca me he sentido ni más solo ni más grotesco… Los polis estaban aguardando que alguien bastante más importante que un pobre estudiante de veintiún años cayera en la ratonera. En cuanto apareció el que esperaban, me olvidaron. Lo malo es que aquel tipo se llevó mi ejemplar de la Polémica. ‘Subrayado y anotado’, como él decía. Cosas que pasan…” Sonríe forzadamente. “Me vuelvo mañana a España, Louis”. El profesor de la mirada azul tan desoladamente melancólica se levanta. Desaparece por la puerta que da a sus habitaciones privadas. Vuelve al cabo de un par de minutos. Tiene en la mano un pequeño libro de portada gris. “De la Polémica aquella no guardo ni un ejemplar en mi biblioteca. Pero llévate esto. No lo tienes; acabo de recibir los primeros ejemplares hoy. Se sienta ante el escritorio, escribe algo con bolígrafo negro en la primera página. Guarda el libro en un sobre blanco que le tiende. Es hora de marchar. “Cuídate mucho, no dejes que te pillen”.

 

Sólo al llegar a la plaza del Panteón, se atreverá a abrir el sobre. El libro se llama Réponse à John Lewis. Lee la dedicatoria en boli negro, la minuciosa letra que tan bien conoce: Pour Gabriel Albiac qui saura continuer la lutte et se battre en communiste. « Un communiste n’est jamais seul ». Y sospecha que el maestro se equivoca.