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Losey-Resnais

Losey-Resnais

Dans une lettre de janvier 1968 à Florence Malraux qui fut une amie proche, sa future assistante sur Les Routes du Sud et allait bientôt devenir l’épouse d’Alain Resnais, Joseph Losey écrivait (notre traduction) : « S’il vous plaît, dites à Resnais combien j’ai été ému et gratifié par ce que vous m’avez dit de sa réaction à Accident. Le travail de Resnais me semble le seul dont j’apprends quelque chose et il est presque le seul metteur en scène avec lequel j’ai pu avoir de longues conversations suivies et stimulantes. » Dans les archives de Resnais sur Mélo, on trouve deux pages de notes « pour Alain » résumant l’avis de « Joe » sur Harold Pinter, auteur des scénarios de The Servant, Accident et Le Messager pour Losey, et sur Franco Solinas, qui écrivit pour lui Mr. Klein. Ce que ces deux grands réalisateurs avaient en commun était, parmi d’autres affinités, de ne pas être des scénaristes comme un Bergman ou un Fellini même s’ils intervenaient régulièrement dans le travail d’écriture. Il est donc significatif que Losey se confie à son confrère sur sa collaboration avec Pinter et Solinas, deux de ses meilleurs scénaristes, à un moment où Resnais semble à la recherche de nouveaux auteurs pour ses films.

Metteur en scène à ses débuts à Hollywood d’un premier film singulier, Le Garçon aux cheveux verts, une fable sur le racisme et le péril atomique, puis au tournant des années 1950 d’une poignée de films sociaux et criminels (Haines, Le Rôdeur, M, La Grande Nuit), Losey fut convoqué par la commission des activités anti-américaines alors qu’il tournait en Italie Un homme à détruire. Il se réfugia en Grande-Bretagne tout en étant placé sur la liste noire et continua à réaliser d’abord anonymement des films proches de sa période américaine. Avec Eva, produit en France par les frères Hakim en 1962, Losey entre dans la cour des grands et participe de l’exceptionnelle floraison de films d’auteur aux côtés de Bergman, Antonioni, Fellini, Kubrick et Resnais auquel il vouait une grande admiration ainsi que pour Rosi (Salvatore Giuliano, L’Affaire Mattei).

Mais c’est l’œuvre de Resnais qui le marque particulièrement. Il voulut tourner Accident en noir et blanc et dut céder à la volonté des producteurs qui optaient pour la couleur tout en recourant à un traitement chromatique proche de Muriel. Il engage Delphine Seyrig pour une scène où elle retrouve un ancien amour (Dirk Bogarde), professeur à Oxford, qui vient à Londres pour un court séjour. La muse de Resnais pour L’Année dernière à Marienbad et Muriel sera de nouveau l’interprète de Losey pour Maison de poupée en 1973. Lorsque Losey se rend dans son ancien collège de Dartmouth en 1975 pour y enseigner, il montre à ses étudiants des films de Resnais, de Bergman, d’Antonioni et de Fellini. En 1977 pour Les Routes du Sud, il emprunte à Resnais le scénariste de La guerre est finie, Jorge Semprún, et son interprète Yves Montand. La même année, Resnais engage pour Providence Dirk Bogarde, l’acteur fétiche de Losey, et un de ses scénaristes, David Mercer. En janvier 1978, lors de la cérémonie des Césars, c’est Losey qui remet à Resnais le trophée du meilleur réalisateur pour Providence. Et quelques mois plus tard Resnais rend visite à Losey sur le tournage à Vicence de Don Giovanni dont il admire les rushes. C’est aussi Florence Malraux, amie proche de Jeanne Moreau, qui présente Losey à Semprún et plus tard à Monique Lange qui écrira pour lui La Truite.

Autant d’affinités électives pour les deux cinéastes qui partagent plus essentiellement une préoccupation pour l’expression du temps à l’écran. En ce sens, d’Hiroshima mon amour à Je t’aime je t’aime pour Resnais, du Temps sans pitié au Messager pour Losey et à son projet avec Pinter d’une adaptation d’À la recherche du temps perdu, ils n’ont cessé d’ouvrir de nouvelles voies esthétiques.

Michel Ciment