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Thibaut Croisy

Thibaut Croisy

Dans le cadre des bourses de résidences du CCNCN - Centre Chorégraphique National de Caen en Normandie, l'Imec accueille l'auteur et metteur en scène Thibaud Croisy pour une résidence de 2 semaines à l'abbaye d'Ardenne. Son projet d'écriture portera sur un acteur emblématique du cinéma muet : Lon Chaney (1883- 1930)

"Lon Chaney, l’homme aux mille visages

Auteur, metteur en scène et spécialiste du mélange des genres, j’ai décidé cette année de solliciter un soutien du Centre chorégraphique national de Caen pour développer un projet d’écriture sur un acteur emblématique du cinéma muet : Lon Chaney (1883-1930).

D’abord artiste de cirque et de music-hall, Lon Chaney devient une icône du muet en interprétant des rôles grâce auxquels il démontre ses talents de transformiste. Dès le début de sa carrière, Lon Chaney se maquille, change de tête grâce à des perruques, des dentiers, des plaques de celluloïd qui lui permettent de relever son nez ou de rendre ses pommettes plus saillantes. Certaines de ses créations, comme le bossu de Notre-Dame ou le fantôme de l’Opéra, peuvent nécessiter quatre à six heures de préparation quotidienne.

Mais très vite, Lon Chaney tire parti de son extrême agilité et de ses talents de contorsionniste pour incarner des personnages handicapés, estropiés, des monstres et autres « erreurs de la nature ». Ces rôles fracassants, et fracassés, deviennent sa marque de fabrique. Sous la direction de Tod Browning, le réalisateur de Freaks, Lon Chaney tourne plus de dix films dans lesquels il apparait successivement démasculinisé, borgne, manchot, cul-de jatte ou paralytique. À chaque fois, il offre une performance plastique qui émerveille, effraie, divertit ou fascine, et de film en film, le public se presse toujours plus nombreux pour découvrir ses métamorphoses et ses prouesses physiques.

Cela fait longtemps que je rêve le corps de Lon Chaney et que je veux écrire sur ses gestes, son jeu expressionniste, ses travestissements artisanaux et ses mutations corporelles. Reconstituer son histoire, décoder le langage qu’il a créé, tenter de percer ses secrets de fabrication, c’est s’intéresser à une pratique hybride, au croisement du mime, de la danse, du cirque et de la magie.

Aussi, je dois dire que Lon Chaney a récemment fait retour dans ma vie à la suite à plusieurs évènements. Depuis une dizaine d’années, nous assistons à une inflation de pièces documentaires dans lesquelles les artistes mettent en scène des « vrais gens », exposent leurs différences et leur demandent d’apparaître en tant que personnes « à part ». Certains chorégraphes ou metteurs en scène sollicitent par exemple de « vrais » handicapés et les invitent à jouer leur propre rôle. En marge de cette tendance, d’autres avancent que dans le contexte actuel, il devient plus légitime de faire jouer un personnage minoritaire par un interprète lui-même issu d’une minorité et de respecter ainsi une stricte coïncidence entre l’identité du personnage et celle de l’interprète.

Attentif à ces débats et travaillant depuis longtemps sur les représentations des minorités, il m’a semblé judicieux de penser un peu à contre-courant de notre époque et de revenir sur un cas de figure inverse : un acteur valide qui n’a jamais cessé d’interpréter des personnages handicapés et qui a développé un savoir-faire unique pour représenter une minorité à laquelle il n’appartenait pas. Pourquoi Lon Chaney, qui était plutôt bel homme, a-t-il mis tant de soin à incarner des êtres amputés, blessés, meurtris, maltraités par la vie ? Pourquoi a-t-il travaillé sans relâche à se défigurer, s’amoindrir, se rabaisser, allant même parfois jusqu’à détruire son corps pour donner forme à ceux qui n’étaient pas comme lui ? Car à force de se couvrir de harnais, de prothèses, de poids, à force de porter des lentilles, de comprimer ses jambes et de se tordre les bras, Lon Chaney a littéralement déformé son corps. Sa performance masochiste et chorégraphique, à la fois sublimée et vécue, fait écho à mes travaux sur le sadomasochisme, les pratiques extrêmes, les représentations de la douleur, et nul ne doute que je pourrais approfondir avec lui mes recherches sur cette part de notre sensibilité.

Thibaud Croisy, 6 juin 2019"

Thibaud Croisy écrit et met en scène. Ces dernières années, il a créé Je pensais vierge mais en fait non (2010), Soustraction du monde (2012), Gymnase nihiliste (2013), Rencontre avec le public (2013), 4 rêves non-censurés en présence de Fleur Pellerin (2015), Pierre Bellemare, une histoire extraordinaire (2016), Témoignage d’un homme qui n'avait pas envie d’en castrer un autre (2016) et La prophétie des Lilas (2017).

Ses pièces ont été présentées à la Gaîté Lyrique (Paris), la Ménagerie de Verre (Paris), le Théâtre Paris-Villette, Théâtre de Gennevilliers, Théâtre de Vanves, Studio-Théâtre de Vitry, Centre chorégraphique national du Havre, Scène nationale de Poitiers, Scène nationale de Reims, la Manufacture – CDCN de Bordeaux, le TU (Nantes), le Centre d’art contemporain de Brétigny, le Grütli (Genève) et de nombreux festivals : Faits d’Hiver (Paris), Actoral (Marseille), Les Rencontres de la forme courte (Bordeaux), La Bâtie (Genève).

Thibaud Croisy a aussi mené des workshops au Carreau du Temple (Paris), au Centre dramatique national de Montpellier ou encore à l’Université de Poitiers. Enfin, il travaille en tant que collaborateur artistique, interprète, et publie régulièrement des textes dans des revues, dans la presse, des ouvrages collectifs ou des livres d’art.

www.thibaud-croisy.com

www.vimeo.com/thibaudcroisy